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Après avoir donné la parole à la maman d’un enfant non-binaire pour discuter de dysphorie de genre en 2023, puis à un·e jeune adulte qui partageait son questionnement identitaire à la puberté en 2024, nous poursuivons notre série de témoignages dans le cadre du Mois de la Fierté 2ELGBTQI+ en mettant en lumière le parcours inspirant d’Astrid — une femme transgenre qui a su se tailler une place dans deux milieux encore très masculins : la gestion et les services d’urgence.

Ce portrait est aussi l’occasion de rappeler que des services comme ceux de Familio sont là pour accompagner avec bienveillance celles et ceux qui se questionnent sur leur identité de genre ou leur orientation sexuelle, soutenir les familles et favoriser des milieux de vie inclusifs et respectueux.

Une personne avant tout : rencontre avec Astrid

Astrid est une femme trans de 39 ans, parente de deux enfants. « Pas papa ni maman », précise t-elle. « Je ne veux pas dire maman car j’ai l’impression que ça enlève une partie du rôle biologique de la mère, de la femme ». Entre sa famille, son emploi comme gestionnaire, son travail de pompière ainsi que les formations qui y sont annexées, Astrid vit sa vie à 100 miles à l’heure. 

Son histoire en lien avec la transexualité remonte à sa plus tendre enfance. Elle raconte, à moitié à la blague, que sa mère n’a su son sexe que très tard pendant sa grossesse, parce que non visible lors des échographies. Mais elle avait prié tous les jours pour avoir un garçon. 

« J’en avais conscience depuis que j’était toute petite. J’ai été élevée par ma mère et ma grand-mère et je me souviens d’avoir demandé à ma grand-mère pourquoi j’avais un pénis, quand est-ce que j’allais avoir des seins. Et un moment donné à force de me faire “chicaner”, “convaincre”, “expliqué” […] j’ai fini par arrêter d’en parler. Mais je n’en veux pas à personne à ma mère ou ma grand-mère, avant il n’y avait pas d’outils pour comprendre les jeunes qui se sentaient différent comme moi dans leur corps ».

De l’adolescence à l’âge adulte

« C’est vers 14 ans que j’en ai reparlé à ma mère. J’avais l’impression qu’il y avait quelque chose qui se passait de pas correct, j’étais mince, trop mince. Je me sentais mal comment j’étais. On a rencontré un médecin, qui m’a proposé de voir un endocrinologue pour prendre des hormones afin que je puisse avoir une shape. J’étais content, parce que j’avais entendu de l’hormonothérapie:  je voulais parler à l’endocrinologue pour prendre des bloqueurs de puberté et des hormones féminines ».

Astrid espérait pouvoir enclencher une transition dans la direction qu’elle souhaitait et recevoir du soutien.

« Mais je n’ai pas pu lui parler tout seul. Alors il m’a prescrit des hormones masculines. Après une semaine de prise d’hormones, je pensais virer folle. J’ai dit à ma mère que tout allait bien, mais j’ai tout simplement arrêté de parler de ma dysphorie. Et j’ai commencé à décrocher, à vouloir me cacher, à vouloir cacher la femme en moi, à prendre du cannabis, je voulais trouver une façon de m’échapper dans un autre univers ».

« À 18 ans j’ai décidé de quitter la maison familiale pour aller avec mon meilleur ami à Montréal. J’ai décidé que c’était ma nouvelle chance. Et j’ai rencontré un médecin qui m’a convaincu de ne pas faire de transition. Il m’a dit que j’allais ruiner ma vie, finir prostituée dans le Village, que je ne trouverais jamais un bon emploi… C’était mon deuxième échec dans le projet. […] Je me suis donc dit qu’il avait peut-être raison. J’étais rendue à 19 ans, je me suis dit travaille, trouve-toi une blonde, fais un enfant. Fais le stéréotype de l’homme. Peut-être que comme ça tu vas devenir un homme et te sentir homme. 

Donc j’ai rencontré la mère de mes enfants, j’ai eu ma fille quelque mois après. J’étais très déterminé à me sortir ce projet de la tête. Quand je suis déterminé, je le fais. On a été vivre quelque temps chez ma mère, j’ai obtenu mon diplôme d’études secondaires, je me suis trouvé un bon emploi, je nous ai acheté une maison ». Mais malgré tous ces efforts pour correspondre à une image masculine, le mal-être persiste, et le modèle d’une vie “standardisée” ne suffit plus à Astrid. 

« Je n’étais pas vraiment heureuse. Je me plongeais dans le travail pour noyer ma peine. Et c’est à 27 ans que j’en ai eu assez. J’étais rendue à l’étape où soit c’était le changement, soit c’était le suicide ». 

Une transition médicale et sociale vécue avec détermination

« Ça allait de moins en moins bien dans mon couple. Ma conjointe voulait un deuxième enfant, moi non. Je me sentais comme un imposteur dans ce projet-là. Puis finalement l’enfant est conçu et moi, je suis tombée dans une profonde dépression. À ce moment-là, j’en avais jamais parlé à personne, même pas à mon meilleur ami, qui m’en a d’ailleurs voulu longtemps ».  

« Le jour de la Saint-Valentin 2013, ma conjointe m’a annoncé qu’elle était enceinte. Et moi, je lui ai annoncé que je voulais faire ma transition. C’était mon coming-out. On a pleuré, on était fâché, en extase… toute la gamme des émotions y a passé.  Je me suis sentie égocentrique dans ce que je faisais, beaucoup. Mais je sentais que je n’avais pas le choix. Je ne voulais pas vraiment mourir. Je ne voulais pas faire souffrir ma fille en m’enlevant la vie ». 

« Ma conjointe de l’époque a été très supportante. J’ai commencé les démarches de transition en mai 2013, et mon fils est né en octobre». « Quand j’ai commencé l’hormono thérapie, après deux-trois mois, j’ai senti les changements bénéfiques. Je sentais que je m’en allais sur la bonne direction, que j’étais validée dans ma transition de genre. Je m’auto-validais. Émotionnellement, physiquement, je me sentais finalement bien avec moi-même. Le sentiment de ne plus sentir la testostérone dans mes veines. C’était comme un poison qui circulait dans mon corps. Grâce à la médication, j’ai enfin cessé d’en ressentir les effets néfastes. Chaque fibre de ton corps vibre de la façon dont ça devrait vibrer à la base.  Ma fille avait à ce moment-là 8 ans.  Et j’étais prête à lui en parler ».

« Au début, la crainte de ma fille était que je disparaisse, comme un lapin dans un chapeau. Mais je lui ai expliqué que j’allais rester-là et ça a passé très vite. Ça a été la première a féminisé son langage par rapport à moi. Ça a pris deux jours. Elle était contente, elle voyait que du positive, j’étais plus heureuse, tout était plus beau et elle préférait ça comme ça. Elle voulait que tout se fasse vite, que j’ai ma chirurgie maintenant ! »

« Et effectivement, le moment le plus libérateur a vraiment été l’opération. Quand je me suis réveillée après l’intervention, le sourire que j’avais dans le visage… les infirmières ne comprenaient pas, elles m’ont demandé si j’allais bien et m’ont dit que j’étais la première personne qu’elles voyaient sourire comme ça après une chirurgie. »

« Le moment le plus dur a été le rejet temporaire de ma mère et de ma grand-mère. Dans la maison que j’avais fait construire, ma grand-mère vivait en dessous et ma mère habitait à proximité. Ma mère venait chercher ma fille et m’ignorait, ne me parlait pas. Ma grand-mère ne voulait plus me parler, ne voulait plus que je l’accompagne faire ses courses. Il ne fallait pas se faire voir ensemble. J’était la honte de la famille ».

Aujourd’hui, leurs relations se sont un peu améliorées, mais pas à 100%. « Ma mère ça a pris un ou deux ans. Elle a coupé les ponts parce qu’elle ne se sentait vraiment pas bien. Elle est même tombée en dépression à cause de cela. Après elle a décidé de faire un voyage en Hollande et a rencontré une québécoise. Et elle s’est ouverte à cette madame-là. Et c’est cette dame qui lui a fait comprendre que ce que je vivais c’était extraordinaire. Elle est revenue et elle a fait les premiers pas. Ma grand-mère ça a été très long. Ce n’est pas encore réparé ». Et en parallèle de sa transition personnelle, Astrid a aussi dû apprendre à s’affirmer dans ses milieux de travail, tous deux marqués par une forte culture masculine.

Affirmer son identité dans le milieu professionnel

Depuis toute jeune, Astrid rêvait de conduire de gros véhicules. « C’était un rêve de petit gars, je voulais conduire des autobus, des camions. C’était ça mon fantasme. » Un rêve qu’elle a réalisé très tôt, dans un environnement de travail principalement masculin — où elle a aussi amorcé sa transition.

« J’ai fait mon coming-out dans ce milieu-là, et je dirais que ça s’est bien passé à 92 % ». Pour Astrid, cette réussite n’est pas un hasard. Elle s’est préparée, avec intention et stratégie. « J’ai choisi cinq collègues influents, des gens respectés, pour être un peu mes ambassadeurs. Je leur ai parlé en premier, je leur ai demandé de m’aider à ouvrir la discussion. »

Elle croit profondément que l’ouverture attire l’ouverture. « J’en ai parlé sans tabou. Je faisais même des blagues, j’étais franche. Ça a désamorcé bien des malaises. Tout le monde a eu de l’ouverture, de l’aide, de l’amour… j’ai beaucoup de respect pour tous ceux qui m’ont aidée et soutenue. »

Quelques accrochages sont survenus, mais elle les a abordés avec calme : « Je n’étais pas fâchée. Je continuais à leur parler. Je voulais qu’ils voient que je restais la même personne. De l’ignorance naît la peur. Mais quand tu comprends, tu avances vers l’acceptation. »

C’est après sa transition qu’elle a accédé à un poste de gestion. « Ça m’a permis de gérer avec plus de sensibilité. Mon vécu m’a rendue plus à l’écoute, plus humaine. Je comprends ce que c’est d’avoir peur d’être soi. »

Dans son deuxième milieu professionnel — celui des services incendie —, Astrid n’a pas d’abord parlé de son identité. « C’était rendu tellement normal pour moi d’être transgenres et de vivre ma transition de genre. J’en avais donc pas vraiment parlé au début à mon arrivée. Mais un jour, des collègues ont vu un drapeau trans sur mes réseaux sociaux. Et là, deux personnes sont venues me poser la question directement : “T’es-tu trans ?” J’ai trouvé ça tellement honnête. Je leur ai dit oui, et qu’ils pouvaient poser toutes les questions qu’ils voulaient. »

Même dans cet univers souvent perçu comme macho, elle a pu prendre sa place et être elle-même. « Je n’ai jamais eu personne qui m’a manqué de respect. Jamais. Je suis capable d’en faire des blagues, et je suis respectée. »

En assumant pleinement son identité, Astrid a su bâtir une carrière solide, à la fois comme gestionnaire et comme pompière, dans deux milieux où les modèles féminins — et trans — sont encore aujourd’hui trop rares. Sa trajectoire prouve qu’on peut être soi, et aller loin — même là où on ne nous attend pas.

La transidentité dans la société d’aujourd’hui

Astrid garde un regard lucide sur l’évolution sociale des dernières années. « On a vécu un certain golden age pour les personnes trans, mais de courte durée — disons de 2014 à la pandémie. Il y avait des avancées concrètes, les droits étaient mieux reconnus, on en parlait davantage, des figures publiques comme Michel Blanc prenaient la parole, le gouvernement aussi. » Puis la COVID-19 est arrivée, et on dirait qu’elle a tout assombri.

Depuis, Astrid perçoit un glissement: « Des figures comme Donald Trump, Andrew Tate, Jordan Peterson ont alimenté des peurs, véhiculé des idées fausses. » Elle reconnaît aussi qu’avec l’ouverture rapide des dernières années, certaines lignes ont pu devenir floues, que des cas très médiatisés ont été mal compris. « On est passés d’une ouverture à une certaine méfiance. Il y a eu des excès, des gens qui se sont identifiés à toutes sortes de choses. Et là, c’est comme si le balancier revenait de l’autre côté. Mais au final, je pense que la question LGBTQ + devra être débattue encore, qu’on devra continuer à se battre. On va devoir continuer à défendre nos droits. »

Son message aux jeunes personnes trans est empreint de tendresse et de lucidité : « C’est normal de se poser des questions. C’est normal de ne pas se sentir bien dans son corps. Si tu penses que tu es trans, la première étape, c’est d’en parler avec quelqu’un de proche. » Elle poursuit : « Crée-toi un réseau de personnes trans autour de toi et va t’informer. Avant de prendre des décisions qui vont impacter ton corps, consulte, va voir un·e psy. Et entoure-toi d’amis qui vont te supporter. »

Astrid insiste sur l’importance de se libérer des regards extérieurs : « La vie mérite d’être vécue, et vécue comme on est réellement. La plus belle chose que tu puisses faire, c’est de te libérer de la prison de la personne que tu n’es pas. » Et de reprendre le pouvoir sur sa propre trajectoire : « Il n’y a personne qui peut te définir à part toi-même. La seule façon que ton histoire va mal finir, c’est si tu n’es pas toi-même. Sois l’acteur·trice, le·la réalisateur·trice, le·la scénariste de ta propre vie… comme ça, personne ne pourra te dire quoi faire. Et ensuite, tu seras le spectateur du film que tu auras créé. »

Prendre soin, ensemble

Le parcours d’Astrid montre qu’il est possible de s’accepter, de se relever et de trouver sa place — même quand le chemin est loin d’être facile. C’est un rappel important : chacun·e mérite d’être écouté·e, respecté·e et soutenu·e.

Chez Familio, nous sommes là pour accompagner les personnes et les familles, à chaque étape de la vie. Que ce soit pour parler d’identité de genre, d’orientation sexuelle ou de santé mentale, nos professionnel·le·s offrent un espace bienveillant, sans jugement.

Parce que personne ne devrait avoir à faire ce chemin seul.

Ce témoignage est basé sur une entrevue réalisée en juin 2025 avec Astrid, une femme transgenre résidant au Québec.

Ressources en lien avec la transidentité

A comme Allié (2025)
https://acommealliees.ca/
Un projet de sensibilisation visant à mieux outiller les jeunes et les adultes à devenir des allié·e·s des personnes LGBTQ+.

ASTT(e)Q (2025)
https://cactusmontreal.org/soutien-aux-personnes-trans/
Offre du soutien aux personnes trans et non binaires, en particulier les plus marginalisées, par l’entraide et l’accès à des ressources médicales, sociales et juridiques.

Aide aux Trans du Québec (ATQ) (2025)
https://atq1980.org/
Soutien à toute personne trans ou en questionnement ainsi qu’à leurs proches, dans toutes les étapes de leur cheminement.

AlterHéros (2025)
https://alterheros.com/
Plateforme communautaire d’information, de sensibilisation et d’entraide pour les jeunes vivant des questionnements liés à l’orientation sexuelle, l’identité et l’expression de genre.

Divergenres (2025)
https://divergenres.org/
Organisme de défense des droits des personnes trans, non binaires et de la pluralité des genres. Ateliers, accompagnement et soutien.

Diversité 02 (2025)
https://diversite02.ca/
Organisme de soutien aux personnes LGBTQ+ et à leurs proches dans la région du Saguenay–Lac-Saint-Jean.

En mode ado (2025)
https://enmodeado.ca/
Espace d’information et de soutien pour les adolescent·e·s québécois·es, incluant des contenus liés à l’identité de genre et à l’orientation sexuelle.

Familles LGBT (2025)
https://familleslgbt.org/
Ressources pour les familles LGBTQ+ ou en devenir, incluant les parents, les enfants et les proches.

GRIS Québec (2025)
https://grisquebec.org/
Organisme qui démystifie les orientations sexuelles et identités de genre dans les milieux scolaires par des témoignages et des ateliers.

Interligne (2025)
https://interligne.co/
Service d’aide et d’écoute 24/7 pour les personnes concernées par la diversité sexuelle et de genre, ainsi que leurs proches.

Jeunesse, j’écoute – Espace LGBTQ+ (2025)
https://jeunessejecoute.ca/information/jeunes-2slgbtq-et-allies-cest-votre-espace/
Plateforme confidentielle d’écoute et d’information gratuite pour les jeunes LGBTQ+.

Le JAG (2025)
https://lejag.org/
Organisme communautaire LGBTQ+ pour les jeunes et les adultes de la Montérégie. Ateliers, groupes de discussion, sensibilisation.

PFlag Canada (EN) (2025)
https://pflagcanada.ca/
Réseau de soutien pour les parents, familles et ami·e·s des personnes LGBTQ+ à travers le Canada.

TransEstrie (2025)
https://transestrie.org/fr/ressources/
Ressources variées, guides, groupes de soutien et accompagnement pour les personnes trans et leurs proches dans la région de l’Estrie.

Transitionner.info (2025)
https://transitionner.info/
Plateforme informative développée au Québec sur les parcours de transition, incluant les démarches médicales, sociales et juridiques.

Youth Line (EN) (2025)
https://www.youthline.ca/
Service d’écoute et de soutien par et pour les jeunes LGBTQ+ en Ontario. Ligne téléphonique, clavardage et ressources locales.