Dans notre société en constante évolution, l’identité et l’expression de genre suscitent de plus en plus d’attention et de discussions. Alors que les projecteurs des médias se focalisent sur les débats enflammés autour des drag queens, une réalité plus profonde émerge: nos propres enfants se questionnent sur leur identité de genre. Et au milieu de ce tumulte d’émotions, une question persiste : s’agit-il simplement d’une tendance éphémère ou d’un phénomène bien réel ? Pour éclairer cette énigme délicate, nous avons eu le privilège de partager un moment sincère avec Geneviève, maman de Cléo, 11 ans, qui s’identifie comme enfant non binaire. Dans cette discussion empreinte d’émotions, nous avons exploré les complexités et les joies de soutenir un enfant qui défie les normes de genre, cherchant à comprendre leur véritable essence au-delà des apparences. Notez que les prénoms ont été changés pour des raisons de confidentialité.

Être non-binaire : qu’est-ce que c’est ?

Avant d’aller plus loin, prenons le temps de définir ce qu’est la non-binarité ainsi que quelques concepts clés qui y sont associés (Familles en transition, 2e édition, CTYS)  :

Sexe: terme médical faisant référence au sexe assigné à la naissance. Les termes les plus courants pour définir le sexe sont le masculin, le féminin et l’intersexe.

Identité de genre: Sentiment intime d’une personne qui fait qu’elle se sent être un homme ou une femme ou d’une identité autre. 

Expression de genre: Se dit de la façon dont une personne choisit de se présenter ou d’exprimer son identité de genre aux autres, souvent avec des comportements, des vêtements, une coiffure et des caractéristiques corporelles.

Orientation sexuelle: Attirance sexuelle ressentie à l’égard de certaines personnes. 

Non-binarité: Identité de genre qui ne correspond pas strictement aux catégories traditionnelles de masculin et féminin. Les personnes non-binaires peuvent se sentir en dehors de cette dichotomie de genre ou éprouver une combinaison d’éléments masculins et féminins en termes d’identité de genre.

Transidentité: personne dont l’identité de genre ou l’expression de genre ne concorde pas avec les attentes de la société à l’égard du sexe qu’on a assigné à cette personne à la naissance.

Ainsi, il est important de se rappeler que la notion de non-binarité est reliée aux notions d’identité et d’expression de genre, qui sont complètement différentes et séparées du concept d’orientation sexuelle. 

L’expression de l’identité de genre chez les enfants

Jouer à la poupée, faire rouler des camions, se déguiser en princesse ou jouer au baseball… ce sont des jeux pour enfants qui, de par nos constructions sociales et les stéréotypes que nous entretenons, ont été associés à un genre spécifique. Pourtant, la plupart des enfants, quel que soit leur sexe, joueront à un moment ou à un autre à des jeux « du sexe opposé », et cela n’aura pas d’impact sur son identité de genre. Il est vrai que dans certains cas, certains peuvent remarquer des signes indiquant qu’un enfant ne s’identifie pas strictement comme garçon ou fille, tandis que d’autres fois, il n’y a aucune indication apparente. Ce peut être des jeux, mais aussi des façons de s’exprimer, de s’habiller. D’ailleurs, Geneviève, maman de Cléo qui est née de sexe féminin, se rappelle:

« La première fois que Cléo m’a parlé de comment iel se sentait, iel avait 8 ans. Mais je n’avais jamais eu d’indices avant: iel jouait à des jeux de « filles », se déguisait en princesse, et à toutes sortes d’autres jeux. J’ai toujours fait attention de permettre à mes enfants d’explorer leur identité et de jouer à des jeux, de faire ce qu’ils voulaient, peu importe leur genre», raconte Geneviève. Puis un jour, alors qu’iel avait 8 ans,Cléo m’a dit qu’iel ne s’identifiait pas comme un garçon ni comme une fille (ni un homme ni une femme). Qu’iel n’était ni l’un ni l’autre et qu’iel ne voulait pas qu’on le mette dans une catégorie ». 

Ce qui énervait le plus Cléo à ce moment-là, raconte Geneviève, c’était surtout la catégorisation des gens qu’iel rencontrait en public, par exemple à l’épicerie. 

« Ça l’énervait vraiment quand on était en public et que les gens la regardaient et voyaient sa coupe de cheveux courts et ses souliers roses et qu’iel se sentait jugé. Comme si on voulait mettre l’enfant dans une catégorie, mais que ça glitchait. Ça revenait beaucoup dans les discussions. J’essayais de ne pas l’influencer et de ne pas l’emmener à faire des conclusions. Puis, progressivement, iel a demandé de se faire raser un côté de la tête, a fait le ménage de sa garde-robe et a progressivement abandonné les vêtements typiquement féminins comme les robes pour se tourner vers des tenues vestimentaires plus gender neutral».

Réagir à la “sortie du placard” d’un enfant non-binaire

Mais comment réagir quand son enfant se questionne sur son identité de genre et parle de non binarité? La première fois que Cléo a parlé de la façon dont iel se sentait, Geneviève est passée par toutes sortes d’émotions. Geneviève avoue que la première fois que Cléo lui a parlé de comment iel se sentait, elle a eu un deux heures de stupéfaction, de regrets.

« Mais ça a passé vraiment rapidement. J’étais tellement heureuse d’avoir un gars et une fille! Je me disais que la semaine précédente iel se prenait pour un extraterrestre de Jupiter et là iel me disait ça? Est-ce que c’était sérieux ou simplement un jeu? Mais au final, sur le long terme, après plusieurs semaines et plusieurs mois, ça revenait constamment, et ça avait l’air important pour iel ».

En parler à la famille

C’est à l’âge de 10 ans que Cléo a voulu en parler à son entourage et au reste de la famille et a demandé à ce qu’on utilise le pronom iel. 

« Le moment où iel a demandé à ce qu’on le dise à tout le monde, j’ai eu un réflexe de protection. J’ai eu un moment de recul. J’ai eu peur qu’iel se fasse blesser de façon permanente. On peut-tu y aller doucement, tu vas te faire intimider… au final, je ne demanderais pas à mon enfant de cacher qui iel est pour le “protéger” de potentielle blessure ou intimidation. Et comme on y va une chose à la fois, c’est plus facile. Et pour mon enfant il n’y a jamais eu de détresse, de larmes. C’était plutôt un questionnement, c’est ça qui est ça voici qui je suis. Je n’ai jamais eu le sentiment que c’était dramatique. Je devais être là pour l’écouter et le supporter, tout simplement ».

Cette écoute et ce soutien ont d’ailleurs des impacts positifs majeurs: selon une étude de 2012, les jeunes personnes en questionnement d’identité de genre qui disent recevoir un solide appui de leurs parents à l’égard de leur identité et de leur expression de genre ont 66% plus de chances d’avoir une bonne santé physique et 70% de chances d’avoir une excellente santé mentale que les jeunes qui ne bénéficient d’aucun soutien.  Des statistiques qui font assurément réfléchir à l’impact du soutien parental.

La réaction de l’entourage

Quelques semaines avant l’anniversaire de 10 ans de Cléo, sentant la demande de son enfant venir, Geneviève a décidé d’en parler au père de Cléo dont elle était séparée et à sa conjointe. « C’est quelqu’un qui est ouvert d’esprit et aime ses enfants inconditionnellement, mais il est une personne plus traditionnelle. Je ne savais pas comment il allait réagir. Je ne savais pas si je faisais la bonne chose, mais je me suis dit que c’est peut-être mieux que papa soit avisé. Et j’ai été agréablement surprise.  À ce moment-là il y avait des personnes trans au travail et il avait été conscientisé. Ils ont été très accueillants avec Cléo, très ouverts, ça a été très beau de ce point de vue là ».

Le frère cadet de Cléo, quant à lui, ne comprenait pas vraiment au départ. « Quand on lui a dit qu’il fallait commencer à utiliser le pronom iel, il pensait que c’était le nouveau prénom de Cléo et qu’il fallait l’appeler comme ça. C’était drôle ». Puis, Cléo a demandé à ce que ses grands-parents maternels soient informés de la situation. 

 « Quand iel m’a demandé de le dire à ma mère, je lui ai dit au téléphone et sa réaction a été épouvantable. “C’est complètement ridicule, c’est un enfant, tu peux pas lui laisser faire n’importe quoi”. J’ai tenté de lui expliquer, mais c’est pas évident. Une semaine plus tard cependant, ma mère et mon père s’étaient informés, étaient allé voir sur Google, et comprenaient mieux. Ils ont fini par comprendre que c’était normal, que c’était quelque chose qui arrive même aux enfants ».

« Ils ont changé rapidement leur barque de bord, mais ils étaient tellement pris au dépourvu et ne comprenaient pas au début. Et si ça avait été en face à face avec mon enfant, peut-être que ça aurait été horrible, que ça aurait laissé des marques, des blessures difficiles à réparer. Je pense que j’ai fait la bonne chose. Je leur ai permis de ne pas briser leurs liens avec mon enfant et aujourd’hui ils sont très proches »

Le soutien de l’école

Puis, à ses 11 ans, Cléo a demandé à ce qu’on en parle à ses amis et au personnel de l’école. 

« Je sais que certains amis de mon enfant ont eu certaines réactions un peu poches “ça se peut pas, je vais continuer à parler de toi au féminin” mais deux jours plus tard, ça avait été digéré et c’était correct. Je sais qu’au secondaire c’est de plus en plus courant, mais au primaire c’est encore rare. À son école c’est le/la seul(e )».  « Le personnel de l’école a vraiment bien réagi aussi. C’est certain qu’il y a toutes sortes d’enfants, des jeunes qui aiment niaiser, écoeurer, des familles religieuses.. mais une des premières choses que l’école a voulu mettre en place était un “système de sécurité” pour Cléo, des personnes bienveillantes qui seraient toujours là pour Cléo si iel était victime, si il y avait des événements qui arrivaient… Tout le personnel est au courant et ça m’a vraiment sécurisée ».

Puis, un mois après avoir rencontré le personnel de l’école, Geneviève s’est rendue à la rencontre de parents. Et sa professeur lui a demandé si elle avait remarqué un changement de comportement chez Cléo.

« En classe, c’était vraiment le jour et la nuit. Iel s’est mis à participer, à s’épanouir contrairement à avant, où iel était plus réservé.e. Cléo sentait qu’iel n’avait plus besoin de se cacher, qu’iel pouvait être lui-même. Je ne l’avais pas anticipé mais c’est tellement une belle retombée! Quand on peut être soi-même et qu’on n’a pas besoin de se cacher on se sent tellement mieux, on est tellement en harmonie avec son environnement ».

Les défis et la beauté de la parentalité et du soutien d’un enfant non-binaire

Il est vrai qu’être parent n’est pas toujours de tout repos. Et c’est d’autant plus le cas avec un enfant qui se questionne sur son identité. Un des défis selon Geneviève fut de savoir comment se positionner et aborder des notions plus complexes comme l’arrivée de la puberté, le changement d’état civil, etc. avec son enfant. 

« Les jeunes enfants n’ont pas les outils ou le vocabulaire pour nous expliquer ces choses-là. C’est vraiment la responsabilité du parent d’aller s’informer, d’aller chercher des témoignages de personnes trans ou non-binaire pour mieux comprendre ce qui se passe avec son enfant sans que lui ou elle ait besoin de nous expliquer ce qui se passe parce qu’ils n’ont pas le vocabulaire ». 

« Pour Cléo, se serait déjà possible de changer son genre à l’état civil mais je préfère attendre après la puberté. Je sais que les changements de la puberté vont arriver, je lui en ai parlé, parlé des changements qui allaient arriver, des bloquants qui pourraient être utilisés mais pour iel, c’est vraiment pas ça qui a l’air important. Elle c’est son identité qui est importante, pas le physique. On verra plus tard si le besoin change ».

Il est important de souligner ici que chaque transition est unique, et qu’il n’existe pas de “bonnes” ou de “mauvaises” façons de transitionner. Certaines personnes ressentent le besoin de faire des changements à leurs apparences physiques alors que d’autres non, tout simplement. Et bien qu’il soit possible pour des adultes d’utiliser la chirurgie lors de transitions de sexe, il existe aussi d’autres solutions médicales aux conséquences réversibles pour retarder la puberté. Ces solutions permettent de laisser plus de temps aux enfants et adolescents afin qu’ils puissent réfléchir et comprendre les options qui s’offrent à eux et qu’ils soient en mesure de faire des choix plus éclairés.  

Le côté positif des choses

Bien que cela puisse paraître complexe, être parent d’un enfant gender-fluid, transgenre ou agenre n’est pas seulement difficile ou négatif, bien au contraire.

« Avoir un enfant qui a vraiment 10 ans, maintenant 11, qui est capable d’affirmer, de s’affirmer devant tout le monde qui iel est et qui n’a pas peur d’être différent. Je suis tellement fière d’avoir un enfant aussi courageux et aussi bon pour être lui-même! Ça me donne envie de pleurer à chaque fois ».

« Je ne sais pas comment je vois l’avenir, mais je suis quand même très confiante. Je ne pars pas du principe que la vie de Cléo va être plus compliquée ou difficile à cause de ça. Et pour ce qui est de penser que c’est une mode, je ne pense pas qu’un enfant comme Cléo, si jeune, “suit une mode”. C’est la première de son école, même si c’est vrai que c’est de plus en plus présent dans les écoles secondaires. On pourrait penser que c’est une mode. Mais c’est peut-être aussi parce que ces catégories-là ne nous conviennent plus tout simplement! »

« On souffre tous des carcans dans lesquels on nous met. On a tous souffert de la rigidité de la définition de notre genre à un moment où à un autre. Si la nouvelle génération sort de cela, je ne pense pas qu’on devrait penser et s’arrêter et se dire “c’est juste une mode”. Peut-être justement qu’ils veulent se libérer. C’est comme dire c’est une mode recycler, que c’est une mode d’aller voir un psy pour régler ses problèmes. Et bien peut-être alors que tout le monde devrait s’y mettre! »

Recevoir du support des professionnels de la santé mentale 

Bien que l’exploration et le développement de l’identité de genre chez l’enfant constitue une période totalement normale, il est important de reconnaître que cela peut également être un moment complexe et délicat, autant pour les parents que pour l’enfant. Lorsqu’une personne questionne son identité de genre, elle peut éprouver de la dysphorie de genre, c’est-à-dire une discordance entre son identité de genre ressentie et le sexe qui lui a été assigné à la naissance, laquelle est associée à un sentiment de détresse ou d’inconfort. Les professionnels de la santé mentale spécialisés dans les questions de genre peuvent aider. Ces experts peuvent soutenir l’enfant dans ses réflexions, l’aider à naviguer à travers les émotions complexes et parfois contradictoires qui peuvent être vécues. Ils peuvent également apporter un soutien précieux aux familles et accompagner chacun des membres à son rythme.

Certains parents auront besoin de plus de temps et de support et vivront l’affirmation de genre de leur enfant un peu comme un deuil. Les professionnels fournissent des conseils éclairés et des stratégies pour favoriser un environnement bienveillant et inclusif, où l’enfant peut s’exprimer librement et être soutenu dans son parcours d’exploration de son identité de genre. Leur expertise joue un rôle essentiel dans l’accompagnement de l’enfant et de sa famille tout au long de ce processus.

En bref

Si vous ou votre enfant en ressentez le besoin, sachez que Familio dispose d’experts en santé mentale et en services sociaux spécialisés dans les questions d’identité de genre qui sont prêts à vous aider. Nos professionnels qualifiés sont disponibles pour fournir un soutien adapté aux parents et aux enfants qui traversent cette période d’exploration de l’identité de genre. Que vous ayez des questions, des inquiétudes ou que vous cherchiez simplement des conseils pratiques, notre équipe est là pour vous offrir un espace sûr et bienveillant. Nous comprenons les défis auxquels vous pourriez être confrontés et nous sommes déterminés à vous accompagner tout au long de ce parcours, en vous offrant des ressources spécialisées et un soutien personnalisé. N’hésitez pas à nous contacter afin d’avoir plus d’informations sur la façon dont nos experts peuvent vous aider dans cette démarche essentielle pour le bien-être de votre enfant et de votre famille.

Quelques ressources destinées aux parents

Vous êtes parents d’un enfant non binaire, transgenre ou qui se questionne sur son identité de genre? Voici quelques ressources qui pourraient vous intéresser: