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Vous avez déjà dit « ça va » alors que rien n’allait? Vous n’êtes pas seul·e. En 2025, près de 76 % des Québécois affirment vivre de l’anxiété « souvent ou à l’occasion », et plus de la moitié se disent stressés au quotidien [Léger, 2023]. Alors que le thème de la Semaine de la santé mentale 2025 de l’Association canadienne pour la santé mentale (ACSM) nous invite à faire tomber le masque, Familio s’est entretenu avec M. Marc-André Dufour, psychologue et porte-parole de la campagne, afin de mieux comprendre ce qui se joue en nous quand on fait semblant que tout va bien — et comment apprendre à être un peu plus vrai, un pas à la fois.

2025 sous tension : quand la survie prend le dessus

En 2025, plusieurs d’entre nous vivons en “mode survie” au quotidien. Nous vivons avec une fatigue de fond, une sorte d’essoufflement collectif qui colore nos journées sans qu’on s’en rende toujours compte. La pression économique, l’actualité anxiogène et les inquiétudes environnementales pèsent lourd sur l’équilibre mental des Québécois. Ce n’est donc pas étonnant que les niveaux de stress et d’anxiété rapportés soient parmi les plus élevés des dernières années [Léger, 2023].

Les principales sources d’anxiété relevées incluent la montée des taux d’intérêt (52 %), la peur de manquer d’argent (51 %), et les changements climatiques (49 %) [Léger, 2023]. Plus de la moitié des Québécois (54 %) ont ressenti des symptômes d’écoanxiété dans la dernière année, et 86 % considèrent la crise climatique comme urgente [Léger – écoanxiété, 2023].

Et les tensions dans l’espace public n’aident en rien à la cause. Nous sommes de plus en plus nombreux à ressentir un malaise devant les débats qui se durcissent, où les opinions sont souvent présentées comme tout ou rien, sans place pour la nuance. Cette polarisation constante, amplifiée par les médias et l’actualité anxiogène, contribue elle aussi à nous maintenir dans un état de vigilance quasi permanent [INSPQ, 2024].

Ce climat d’alerte est alimenté par de multiples facteurs : la hausse du coût de la vie, l’anxiété climatique, mais aussi une polarisation croissante dans l’espace public. De plus en plus de gens ressentent un inconfort profond face aux débats sociaux et politiques devenus rigides et polarisés, où l’expression de la nuance est souvent difficile [INSPQ, 2024]. Les tensions idéologiques constantes et la couverture médiatique anxiogène participent à un état de vigilance permanent.

Le psychologue Marc-André Dufour souligne avec justesse que, dans ce climat tendu, nos réflexes changent — même dans les petits gestes du quotidien : « Quand il y a un feu, on ne prend pas le temps d’être courtois. On agit vite, parfois de façon dure. C’est ce qu’on voit dans la société actuellement. »

Il lance un appel : « Ce n’est pas une question de nier les problèmes, mais de s’autoriser à respirer, à s’apaiser. C’est en retrouvant un contact avec soi qu’on peut vraiment prendre soin de soi et des autres. Vivre du stress quand la menace est réelle, c’est normal. C’est un réflexe de survie — c’est ce qui nous a permis, en tant qu’humains, de passer à travers les époques. »

Qu’est-ce que le masque en santé mentale?

Quand la pression devient trop forte, on finit par cacher ce qu’on vit vraiment. Par réflexe ou par peur du jugement, on colle un sourire, on dit que tout va bien. C’est ce qu’on appelle porter un masque. Selon l’ACSM, porter un masque,« cacher des parties de soi pour s’adapter ou éviter d’être jugé ». Chez les jeunes, cela peut ressembler à toujours faire semblant d’être heureux; chez les parents, à nier l’épuisement; en milieu de travail, à masquer son anxiété pour conserver une image de compétence [ACSM, Le masque 101, 2025].

Mais à force de dissimuler, les conséquences peuvent être graves : perte d’identité, isolement, troubles du sommeil, maux de tête, et mêmes erreurs de diagnostic en santé mentale [ACSM, Effets du masque, 2025].

« Plus on est sensible et conscient de ce qui se passe autour de nous, plus il devient difficile de ne pas souffrir, » ajoute-t-il. « Mais cette conscience, elle est aussi essentielle pour changer les choses. »

Comment laisser tomber son masque de façon sécurisante?

« Je ne parle pas de se montrer vulnérable face à son patron qui est axé sur la performance ou la réussite. C’est peut-être pas la bonne personne avec laquelle commencer! » lance le psychologue, avec un demi-sourire. « Mais on peut commencer par enlever son masque quand on est seul avec soi-même. Par exemple, si on nourrit beaucoup nos réseaux sociaux avec une image de soi performante et parfaite, mais que lorsque l’on se retrouve seul, on se sent déçu ou pas bon parce qu’on n’est pas capable de correspondre à cet idéal, on peut devenir déprimé. »

Il poursuit : « Et pour bien aller, il faut d’abord et avant tout prendre soin de soi. Si je ne prends pas soin de moi, si je ne regarde pas mes émotions, si je suis toujours dans l’évitement — en travaillant sans relâche, en me distrayant devant un écran, en voyageant constamment —, je finis par perdre le contact avec ce que je ressens. »

« Et si on n’est pas en contact avec nos émotions, on continue d’avancer sans ralentir… jusqu’à ce que ça casse. Quand on accepte notre propre vulnérabilité, on ralentit, on prend soin de soi, et ensuite c’est plus facile de prendre soin des autres. Parce qu’on se donne le droit d’avoir mal. »

« Et à l’inverse, quand quelqu’un nous donne ce droit-là, qu’il nous écoute, qu’il accueille notre détresse sans jugement, ça apaise. Parfois on n’a pas besoin de dire grand-chose. Juste écouter, montrer qu’on est là. »

Les conseils de l’ACSM vont dans le même sens : commencer par des petits gestes, dans des situations à faible risque; déterminer avec qui on se sent assez sûr pour partager; prendre soin de soi en se ressourçant, en se reposant et en choisissant des environnements sécurisants [ACSM, Sans masque, 2025].

Et si on aidait les autres à enlever le leur?

L’une des clés, comme le souligne le psychologue Marc-André Dufour, est l’empathie. « Il faut remettre l’empathie au premier plan. La compassion pour soi, et pour l’autre. C’est ce qui permet de dépolariser, de construire des ponts. »

Il rappelle qu’à l’opposé, certaines réactions bien intentionnées peuvent renforcer le masque — comme dire « ça va passer », suggérer un cours de yoga – qui va régler ton anxiété!, ou offrir des solutions toutes faites au lieu d’écouter : donner des conseils trop vite, minimiser la douleur de l’autre, insister pour qu’il se reprenne. Parfois, il suffit simplement d’écouter, sans juger.

L’ACSM propose plusieurs pistes d’action concrètes : poser deux fois la question « ça va? », parler ouvertement de santé mentale, créer des espaces de pair-aidance, et se former aux réalités de l’oppression systémique pour mieux comprendre les barrières sociales à l’expression de soi [ACSM, Sans masque, 2025].

Pour conclure : Je suis tellement plus

« On n’est pas obligé de penser comme l’autre pour l’accueillir tel qu’il est, » conclut le psychologue. « La personne devant vous a peut-être des valeurs très différentes, mais elle a aussi une histoire, une souffrance. Et si on essaie de comprendre, au lieu de juger, il peut se passer quelque chose de beau. »

Remettre l’empathie au premier plan, c’est cultiver la capacité de voir l’autre et de se mettre à sa place, même s’il est différent. Parfois, la colère ou la recherche d’un coupable nous évite de nous regarder nous-mêmes. On se ferme à la remise en question. Mais au niveau du tissu social, ça ne va pas bien. Ceux et celles qui sont sensibles vont mal : anxiété, déprime… Pourtant, c’est cette conscience-là qui peut nous aider à prendre soin de nous et de la collectivité. Et le psychologue Marc-André Dufour affirme croire profondément en ces personnes conscientes et sensibles, qu’il considère comme des actrices et acteurs clés du changement. Chez Familio, nous croyons fermement que le bien-être mental ne devrait pas être un luxe ni un sujet tabou. Offrir un espace d’écoute bienveillant, où chaque personne peut déposer ses masques en toute sécurité, c’est notre mission au quotidien. Parce que la santé mentale, c’est l’affaire de tous — et qu’en prenant soin de soi, on apprend aussi à prendre soin des autres. Envie de parler à un professionnel? Prenez rendez-vous dès aujourd’hui avec un membre de notre équipe.

Pour aller plus loin que le masque

Santé mentale sans masque: et si on laissait tomber les apparences?

  • Association canadienne pour la santé mentale – Québec. (2025). Retrouver son entrain. https://retrouversonentrainqc.ca/
  • Aller mieux… à ma façon – Outil d’autogestion personnalisé, gratuit et interactif. https://allermieuxamafacon.ca
  • Balado Entre les deux oreilles – Podcast québécois sur les enjeux de santé mentale. https://www.ausha.co/channel/entre-les-deux-oreilles
  • Marc-André Dufour. (2025). Comment garder espoir dans un monde en crise ? Pour mieux affronter les défis de l’humanité. Éditions Trécarré.
  • Évaluation en ligne – ACSM – Portrait de sa santé mentale positive. https://cmha.ca/fr/programs-services/evaluation-de-la-sante-mentale/
  • Espace Mieux-être Canada – Plateforme de soutien et outils d’autosoins accessibles 24/7. https://www.wellnesstogether.ca/fr-CA
  • eSantéMentale.ca – Outils d’autoévaluation anonymes et validés cliniquement. https://www.esantementale.ca/
  • Dre Christine Grou. (2022). Mieux vivre avec la santé mentale. Éditions Trécarré. Un ouvrage grand public de la présidente de l’Ordre des psychologues du Québec qui aborde la déstigmatisation, les troubles fréquents et les leviers de résilience.
  • Dre Mélissa Généreux. (2023). Penser la santé autrement. Éditions du CHU Sainte-Justine. Ce livre explore les liens entre environnement social, crises collectives et santé mentale, avec une approche rigoureuse mais accessible.
  • Dre Nathalie Plaat. (2020). Sortir de l’anxiété. Éditions de l’Homme. Une psychologue québécoise propose des outils concrets pour apaiser l’anxiété et mieux comprendre les mécanismes internes de défense, dont le masque social.
  • Relief (anciennement Revivre) – Ateliers d’autogestion pour mieux vivre avec l’anxiété ou la dépression. https://relief.ca
  • Trousse “7 astuces pour se recharger” – Outils ludiques pour prendre soin de sa santé mentale. https://trousse7astuces.ca

Sources